Val de Nauze

C'était il y a 50 ans.

 

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En fin décembre 1964 je n'avais pas tout à fait 20 ans et j'attendais mon affectation après six mois de stages formateurs au Service de Santé des Armées. Si mes condisciples, majoritairement, étaient des para-médicaux j'étais compagnon d'un géomètre, et de… plusieurs séminaristes. Pour la transition 1964/1965 mes camarades attendaient avec impatience la nuit de la Saint Sylvestre. Comme eux je bénéficiais d'une permission de quatre jours mais tout juste pour arriver au chevet de mon père qui décéda le dimanche 3 janvier. Cela fait donc exactement 50 ans aujourd'hui.

 

Mon père n'avait que 62 ans et était poursuivi par le mal qui l'emporta après six ans d'assaut et qui le vit, à plusieurs reprises, franchir les portes de la Fondation Bergonié. C'est exclusivement par devoir filial que j'écris cette page en son souvenir. Il naquit à La Robertie, écart de Fongauffier, le 2 octobre 1902, où mes grands parents étaient métayers. Quelques années après ils vinrent habiter au Coustalet, une des plus humbles fermes sagelacoises, exploitation qu'ils ont d'abord louée au départ d'un de mes grands-oncles avant de l'acquérir quand l'Europe s'embrasa pour la terrible Première Guerre mondiale.

Mon père fréquenta l'école ; mais fort peu. Mes grands-parents, personnages pétris d'altruisme mais analphabètes, n'en percevaient pas la nécessité impérative et, par ailleurs, dans une famille nombreuse de sept enfants, aux moyens financiers inexistants, les bras, au plus tôt, devaient s'activer aux travaux des champs, souvent dans d'autres fermes plus cossues, au moins, à la belle saison, pour participer au difficile équilibre diligenté par ma grand-mère.

Mon père adopta, tout naturellement, l'ardent républicanisme de mon grand-père né dans la Bessède à la dernière décennie du Second Empire.

Ce dernier fut fasciné par la grande Révolution. Probablement il méconnaissait, les excès de ses tribuns maximalistes et il avait une sympathie naturelle pour son calendrier… avec le regret que celui qui lui donna sa tournure poétique ne fut pas de son lignage. Mon père, idéologiquement très tolérant, voua une considération particulière à Jaurès, à la laïcité en général et à celle de l'état en particulier, puis, plus tard à Léon Blum et au monde du travail en général ; avec une estime particulière pour les ouvriers des grands chantiers qui, cependant, désertaient une ruralité en grande souffrance surtout depuis la catastrophe du phylloxéra. Je suppose que lui, qui trouvait incohérent que la République ait pu choir dans un régime ouvertement présidentiel, aurait encore plus souffert en constatant les dérives dantesques de l'égocentrisme monarchiste caricatural, de l'hypocrisie manifeste du système, des dépenses pharaoniques et des mondanités opportunistes, choquantes, dévastatrices et irresponsables de nos gouvernances contemporaines aux antipodes des citoyens.

 

Il effectua ses servitudes militaires au Maroc dans la période indécise post-Lyautey. Son passage dans cette terre, ô combien différente de son Périgord, l'a fortement marqué par la découverte d'une culture qu'il ne soupçonnait pas et qui, d'un certain côté, l'a un peu fasciné par sa faune, sa flore et surtout par ses jardins.

 

Mon père ne quitta le célibat qu'à 32 ans. Dans sa jeunesse il fut d'abord amené à se réjouir, aux vacances, des passages de ses neveux. Il fut fier de voir une nièce, fabriste jusqu'au bout des ongles, devenir la première lycéenne de la famille et en même temps il s'est réjoui quand un de ses neveux, le premier normalien, devint, dans le pays de Caux, le premier enseignant de la famille. Les élèves, de la ruralité fécampoise, qui fréquentaient ses cours souriaient de son verbe chantant loubéjaco-sauveterrien qui, bien entendu, leur était inhabituel.

Il naquit paysan et il le demeura jusqu'à son dernier souffle dans le contexte d'un métier qui n'avait pratiquement aucun point commun avec l'agriculture de ce nouveau siècle.

Il n'est pas du tout certain qu'il ait pu entendre à la radio La Montagne, le délicieux hymne à la ruralité de Jean Ferrat, car le poète ne le composa que quelques mois avant son décès. Je me plais de croire que cette chanson lui aurait parfaitement plu. 

 

Le 5 janvier, lors de sa sépulture, nombreux furent ses amis à entourer sa famille et le drapeau intergénérationnel des A.C.P.G, porté par son ami Noël Pellegry, précéda le convoi funèbre où l'on trouvait, ses trois amis les plus proches, tous ses collègues de l'humble paysannerie locale et les partisans des diverses sensibilités.

 

C'était il y a 50 ans. Contournant un peu l'essence de ce blog je me suis autorisé cette licence pour écrire cette page pour le père qui fut soustrait aux siens trop tôt.  

 

 

 

 

 



03/01/2015
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