La Cerisaie... il y a 50 ans déjà.
Il y a tout juste 50 ans la troupe de Sagelat, qui, hélas, ne s'est toujours pas donné de nom, interpréta dans le hangar Lecordier du Bas de la Côte la Cerisaie d'Anton Tchékhov et, pour ma part, à l'époque, jeune spectateur et accompagnateur de la troupe, j'eus bien l'impression de ne pas mesurer toute la puissance de cette œuvre du dramaturge russe.
La douce généreuse Lioubov Andréïevna Ranevskaïa, personnage plein de tendresse, superbement incarnée par Andrée Teilhaud, porte ses souvenirs d'enfance sous les cerisiers. Léonid Andréïevitch Gaïev est le frère de Lioubov, tout aussi amoureux de la Cerisaie. Il ne sait rien faire de sérieux mais souffre intensément. Il passe son temps à donner des termes techniques de billard, c'est sa façon à lui de s'excuser. "Je carambole à gauche, je carambole à droite" c'était "notre" Médou, Amédée Delmond, que tout le monde appréciait ; bien au-delà des planches du théâtre.
Depuis, comme tant d'autres, je l'ai revue, interprétée par des comédiens professionnels, et, surtout j'ai lu et relu le texte et parcouru les critiques.
Attardons nous, un peu, pas tout à fait au hasard, sur celle de Walizewski.
La Cerisaie est une histoire de passage, la fin pour les anciens, un nouveau début pour les jeunes. La Cerisaie c’est la fin d’une époque, c’est également la dernière oeuvre que Tchékhov a écrit, son adieu à la vie. En l’écrivant, l’auteur avait sa mort en tête, ses toux incessantes l’empêchant de travailler, la douleur et l’ennui de Yalta le décourageant. Lui qui terminait toujours ses œuvres rapidement, a eu énormément de mal à terminer celle-ci. D’une part c’est sa maladie qui l’empêchait d’avancer, d’autre part il ne savait pas lui-même que faire de cette pièce, ne voyant pas vers où la diriger. Il écrit j’ai fait des personnages vivants, c’est vrai, mais ce qu’est cette pièce, je ne le sais pas. p 663 bio Après l’avoir terminée, il écrit à sa femme Je te le jure, ma chérie, si la pièce n’est pas un succès, c’est à cause de mes intestins. Cette pièce, son adieu à la vie, devait être souriante, juste un peu désabusée peut-être.
Walizewski WALISZEWSKI K., Littérature russe, Librairie Armand Colin, Paris, 1918 (troisième édition).
Une émouvante image mi-séculaire où l'on reconnait quatre personnages que nous n'oublierons pas de si tôt ; Jacques-Louis Teilhaud, Amédée Delmond, affectueusement dit Médou, Rino Chies et Charly Deï-Tos..
Que penser de ce personnage d'exception, humaniste, il n'était pas révolutionnaire, né juste avant la bien tardive officielle abolition de l'esclavage*, qui rencontra Tolstoï et Gorki et voua, à cause de l'affaire Dreyfus, une admiration pour Zola.
Si La Cerisaie demeure le dernier chapitre de son œuvre cette pièce, qu'il refusait de considérer comme une dramatique lui préférant l'appellation de comédie, nous livre une description où les serviteurs ne sont pas les quatrièmes roues de charrettes et l'on perçoit dans cette aventure le transfert d'une société d'oisifs, les maîtres qui vont se faire destituer par leurs subordonnés ; fils de moujiks et petits-fils de serfs. On peut et, objectivement, on doit rejeter, sans appel, les regrettables, inadmissibles, intolérables et insupportables excès de ceux qui ont chassé les Romanov mais avouez qu'en 1904 l'œuvre de Tchékov avait quelque chose de prémonitoire.
Pierre Fabre.
* Le tsar Alexandre II abolit le servage dans toute la Russie le 3 mars 1861 (19 février selon le calendrier julien en vigueur en Russie).
De cette révolution sans précédent, hélas, la paysannerie arriérée de Russie ne saura pas tirer profit. Et les maladresses du "tsar libérateur" jointes à l'opposition des classes privilégiées et à la bêtise des libéraux auront tôt fait de replonger l'empire dans ses errements.
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