Val de Nauze

La toute petite histoire du rugby.

 

 

 

 Quelques mots pour Émilien. 

Texte de Jean-Michel Mouillac

lu par lui-même et Jacques Eutrope.

 

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Lorsque toute la famille du rugby Belvésois est réunie comme aujourd’hui, elle parle souvent des champions de France de 1962, des années de 3° division de notre Coco Boucherie, de la montée en Fédérale 2 des hommes du président Castagnié mais l’on oublie souvent de parler d’un personnage unique qui joua un rôle essentiel dans l’histoire du Stade Belvésois. Cet homme, que nous allons célébrer aujourd’hui à notre façon, s’appelle Émilien Lacaze et c’est un honneur pour moi de vous parler de lui.

Je ne suis peut-être pas  le mieux placé pour vous parler de lui, mais j’ai toutefois eu le privilège avec mon compère de toujours Angelo, d’avoir interwievé le bonhomme afin de remplir « le marcassin illustré » qui était l’ancêtre de « paroles d’anciens » que vous retrouvez tous les dimanches à Sem Gallet après  avoir pris vos billets de bourriche.

Donc en plus d’avoir côtoyé Émilien tout au long de notre carrière belvésoise, nous avons des écrits qui sont pour nous un moment magique à chaque relecture. Il fut un dirigeant hors-pair, toujours le sourire, près des joueurs, intimes avec ses dirigeants, les tâches difficiles ne lui faisaient pas peur car les sacs de maillots de l’époque pesaient plus que les haltères d’aujourd’hui et les pharmacies ne manquaient jamais de rien, surtout pas d’huile de camphre et de résine…

Émilien a mis son premier pied au stade belvésois avant la guerre de 39/45, il s’est essayé au jeu mais comme il nous a dit « ça n’a pas gazé car j’étais trop petit pour jouer 3° ligne et comme j’étais jeune, le président Reynal m’a dit il te faut rentrer au bureau » ; il a ensuite vécu l’époque de René Moulinier et ses premiers matchs de phases finales gagnés après prolongations au bénéfice de l’âge, il nous a raconté bon nombre d’anecdotes de cette époque là comme l’escalope de veau que Robert Vergnole s’était mise sur l’œil après un match houleux à Bordeaux-Cama et qu’il a mangée le soir en arrivant, comme les boulons arrachés à la voiture de l’arbitre par le demi de mêlée belvésois après un match volé contre Lespéron, il nous a parlé d’une sacrée partie de mandoline contre Gaillac en 1958…

Puis arriva l’année du titre, en 1962, après avoir battu Facture, Lombez et Saujon, Émilien nous parle de la demi-finale gagnée 6 a 3 contre Bordères :

 

"Putain alors là,  une partie de mandolines sur le terrain et dans les tribunes, ça tombait dru.

Que la casquette de Jésus est restée au champ d’honneur. Il a sauté les balustrades et il est allé se cacher sous les sièges du car. Il avait insulté ou craché à la figure d’une femme. Le pauvre Georges Fongauffier a voulu l’aider, une cinquantaine de supporters avec les manches de banderoles lui sont tombés dessus. Le sang giclait de partout. Moi, j’étais assis sur ma boîte à pharmacie avec le délégué et il me dit, surtout ne bougeons pas, ça va être catastrophique. Il y avait un flic sur le bord des balustrades, le pauvre Fongauffier lui a sauté dans les bras et les supporters se sont arrêtés mais ils cherchaient encore Jésus et, sur le terrain, ça tombait. C’était le jour du Moto-cross à Fongauffier et ça avait été annoncé aux 5 000 personnes présentes et il y avait eu un baroud d’honneur formidable. Tu parles, Belvès en finale, c’était unique dans les annales."

 

Et puis la fameuse finale de 1962 :

 

"La finale s’est jouée à Montluçon, on est parti le samedi midi, dirigeants, joueurs, on avait emmené le casse–croûte, confits, poulets. Bon gueuleton en route. Là-bas, on a bu un petit coup en arrivant puis on s’est couché mais la nuit a été brève parce que pour dormir, c’était dur, on pensait au match. Le lendemain matin, on a pris le petit-déjeuner puis le repas à 11 heures et on est parti au stade de Montluçon. Puis les supporters sont arrivés, en car, en voiture, en tout ce que tu voudras, il y avait 400 supporters belvésois. Ils avaient fait des drapeaux, des banderoles aux couleurs du Stade, ils avaient fait un ballon qui était gros comme la table, c’était magnifique. Les pauvres gars des Finances quand ils nous ont vu arriver, ils étaient assis au soleil là, quand ils ont vu toute cette meute, ils ne savaient plus quoi dire. Parce que, les Finances, ils avaient des gars d’un peu partout, ils avaient une très belle équipe mais pas de supporters. Ils avaient mis ce match là-bas à Montluçon, personne ne s’était occupé du terrain, l’herbe était haute de 50 cm là-bas jusqu’aux 22 m. Pour une finale, ils s’en foutaient, aller mettre ça à Montluçon, ils avaient mal travaillé.

Parce que quand on est rentré, on avait commandé 40 repas à La Coquille et on s’est retrouvé presque 200 à table. Tous les restos de La Coquille s’étaient réunis, ils s’étaient arrangés pour nous faire manger, tous les boulangers, tout le Saint Frusquin aussi. Si bien qu’ils sont allés dans les campagnes, nous ont ramené des pleins paniers d’œufs pour nous faire des omelettes, les chauffeurs avaient comme mot d’ordre de ne pas boire, Moulinier avait dit dans le discours que, maintenant qu’on avait ce joli titre, il ne fallait pas qu’il nous arrive quelque chose. Alors, on est rentré calmement parce que de La Coquille à Belvès, il y avait une trotte. Tu parles, on a roulé avec le klaxon bloqué et tout le Saint Frusquin, on a traversé Terrasson, Le Lardin, Montignac, Les Eyzies, Le Bugue, Le Buisson, Siorac [N.D.L.R le passage bruyant à Fongauffier], tout comme ça. Là rappelle-toi que « ça donnait à la bougie ». On est arrivé à Belvès, il y avait des personnes qui étaient restées telle que Despont, tout ça. Rappelle-toi qu’ils avaient travaillé, ils avaient fait des guirlandes, ils avaient illuminé toute la halle. Un rien que tu touchais et il y avait des pétards, des feux d’artifices, c’était magnifique, magnifique, magnifique. Après, pour finir la soirée, on est allé faire le tourin chez Magnanou à Siorac puis on a remis ça le lundi.

Le lendemain, toutes les femmes se sont réunies pour préparer ça et le lundi soir, on baignait dans le vin blanc. Il y avait un peuple, tu voyais un amas de monde sous la halle, tu ne voyais que des têtes. Le père Ladignac [N.D.L.R Jean Ladignac était le maire de St Cyprien] était venu faire un discours. Bien-sûr, ils sont allés chercher Péco avec son accordéon qui est monté sur le machin là, les gens dansaient, mangeaient des beignets. Moi, j’étais dans la cuisine à Madame Moulinier avec Boursicaut et l’André Casse, on tirait le vin blanc au "barriquou". Putain, rappelle– toi que la cuisine de la Raymonde était jolie. Alors, à un moment donné, le père Boursicaut a ouvert le frigo de Madame Moulinier et, comme elle avait prévu que le mardi, elle ne se lèverait pas de bonne heure, elle avait fait rôtir un joli poulet. A un moment donné, je ne savais pas ce qu’on me mettait dans la pochette, putain Boursicaut qui me dit : « mange ce que tu as dans ta pochette », j’attrape ça, c’était la cuisse d’un poulet, un autre tenait l’autre cuisse, l’autre l’aile, etc, etc. …, Boursicaut qui dit : « surtout, ne jetez pas les os ». Alors, on a bien dégusté le poulet avec le vin blanc, il a bien rebâti le poulet et il a remis ça au frigo. Le lendemain, quand la Raymonde a ouvert son frigo !!! Tu parles une partie de rigolade. Eh oui, et puis, après la grande fiesta, tout c’est très bien terminé.

 

Les années Coco sont aussi pour lui de sacrés moments, il nous parle de toutes ces montées en 2° division ratées, de ce paquet d’avants belvésois qui faisait peur à tout le monde et des matchs houleux à Ussel et Caussade :

Les matchs que j’ai trouvés les plus engagés, les plus virils, c’était Ussel et Caussade, parce que contre Ussel, ce n'était pas de la rigolade ; Les gars d’Ussel qui disaient, c’est la première fois que sur notre terrain, on en prend plein la gueule. La fois que c’était toi, Jacques, qui en avait fait les frais et c’était Coco Fongauffier qui avait fait le coup, il avait fendu la gueule au talonneur.

Il termina l’interview en nous disant : "Et dire que ce bordel, y’a 40 ans que j’y branle !!!"

Les années difficiles Emilien était toujours et encore avec nous et après être redescendu en promotion d’honneur, nous sommes remontés la première année et je me rappelle personnellement de ceci : Emilien était dans le vestiaire avec nous et comme on s’aimait bien tous les deux, il est venu dans mes bras et il m’a dit « tu vois, c’est la dernière montée que je vivrai, je ne rentrerai plus dans un vestiaire pour une victoire d’accession » puis il s’est mis à chanter avec nous « mais non, mais non Belvès n’est pas mort… car ils gagnent encore » ; je lui ai dit ne t’inquiètes pas Emilien je suis sûr que tu en vivras d’autres » puis l’année suivante il voulait arrêter, il était fatigué, mais avait du mal à se passer de sa passion et nous nous sommes qualifiés pour jouer la montée contre Castillon-la-Bataille à Ste Livrade, la victoire nous a souri et lorsque nous sommes rentrés aux vestiaires pour nous congratuler je ne voyais pas Émilien et j’ai dit aux potes de l’époque, attendez moi pour ouvrir le champagne et je suis sorti chercher Emilien qui était coincé dehors parce qu’ils avaient refermé les grilles derrière nous, j’ai réussi à faire rouvrir les grilles avec Émilien à mes côtés et il a participé les yeux pleins de larmes à l’ouverture du champagne. Il nous a regardés tous sans dire un mot et puis il s’est mis à chanter « mais non, mais non Belvès n’est pas mort… car ils gagnent encore ». L’aventure s’est prolongée 3 tours de plus et Émilien a fait son dernier match de phase finale en 8° de finale contre le futur champion de France Cabestany.

Tout le monde sait l’empreinte que Coco Boucherie a laissée au niveau des joueurs mais l’on peut en dire autant d’Émilien auprès des dirigeants et bénévoles qui font que ce club en est là aujourd’hui, il a marqué les esprits mais en plus il a laissé ses dignes héritiers en la personne de ses enfants, petits-enfants et mêmes arrières petits-enfants qui sont tous des éléments indispensables au club et qui se donnent sans compter, comme lui de saisons en saisons.

C’est difficile de rendre hommage à quelqu’un qui fut si important pour nous tous, et depuis que tu nous as quittés, déjà plein de copains sont venus te retrouver et tu fais bien de te taper quelques berger-menthe avec eux en fumant ton cigare car comme tu peux le voir ton stade Belvésois se porte bien.

Voilà le Stade Belvésois a 110 ans aujourd'hui et toi Emilien tu y as passé environ 50 ans de ta vie en tant que dirigeant, c'est dire si tu es quelqu'un d'important pour nous tous.

Les plus intimes avec toi se rappellent que tu prononçais l’expression « Qui dit » à chaque phrase, donc pour terminer voilà ce que nous avons à te dire :

Émilien  "Qui dit" que ton arrière petit fils, Thomas, va jouer une demi-finale de championnat de France demain et qu’il va la gagner, Qui dit que ton autre arrière petit-fils benjamin va jouer demain aussi une finale de championnat de France sous les couleurs rouge et blanche de Belvès et qui-dit  qu’il va la gagner et qu’il continuera comme toi tu l’as fait auparavant, d’écrire l’histoire de ton Stade Belvésois !

Mais non, mais non Belvès n'est pas mort... car ils gagnent encore !!!

 

 

 

 

 



08/06/2015
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